Qu’est-ce que le don? Voilà une question difficile que nous allons essayer de cerner à travers différents ouvrages bibliographiques.
C’est avec André JULLIARD que nous entrons directement dans cette question avec son étude sur les leveurs de maux dans le département de l’Ain.
« Les patients qui consultent dans ces campagnes françaises celui qui lève, barre ou souffle les verrues, les dartres et les brûlures disent qu’il a « l’don ». Cette simple évidence, sans cesse répétée mais jamais interrogée, explicite dans sa brièveté toute la nature de l’acte thérapeutique traditionnel : le don guérit tandis qu’il confère à celui qui le possède, le savoir-faire médical ou, autrement dit, les conditions techniques de son application. Le don est au cœur du système médical populaire, mais, et peut-être en raison de son importance vitale, il se dérobe à l’investigation ethnographique classique (observation + entretien). Alors qu’il n’a ni âge, ni inventeur humain reconnu, il se confine dans le mystère de son usage et de sa conservation : sa manipulation lors de la cure ne s’autorise que du silence ou du murmure tandis que son acquisition, généralement par transmission orale, requiert la discrétion d’une relation personnelle au transmetteur, mode de communication relativement peu usité dans la société rurale. Il paraît inaccessible à l’écoute profane de l’étranger, ce qui conduit le chercheur à le définir comme un savoir constitué, parce que transmissible et ésotérique, parce que secret ».
La méthode d’enquête ne saurait être satisfaisante parce qu’elle saisit son objet uniquement dans sa fonction. Elle est rapidement mise en cause lorsque le chercheur accède à la connaissance interne du don soit en se transformant en thérapeute par héritage d’un certain nombre de secrets, soit en le découvrant souvent mal transcrit dans les mémoires manuscrits laissés par les curés de paroisse et les instituteurs de village. Chez les leveurs de maux qui restent avant tout un agriculteur, un ouvrier, un employé, etc…, »avoir un don » c’est être exclusivement propriétaire d’une prière secrète transmise par un parent, un voisin ou même un étranger, dont on ne peut posséder qu’un nombre limité : 150 à 200 semble être le maximum chez les leveurs de maux rencontrés dans l’Ain. En aucun cas, être leveur signifie posséder une capacité corporelle innée ou autre comme le « fluide » des magnétiseurs, ou encore une disposition spirituelle à la suite par exemple d’une « révélation » à caractère religieux. La transmission de la prière, généralement orale, mais où l’écrit joue un rôle ancien (au moins depuis le XIXème siècle) et non négligeable, ne laisse place à aucune relation de maître à disciple. Elle n’est pas de type initiatique mais simplement une relation de « bon voisinage ». Comme Marcelle BOUTEILLER l’a montré, la différence entre leveur de maux et villageois est une affaire de quantité et non de qualité. Il possède un certain nombre de prières et les autres non, mais les savoirs ordinaires sur la santé, la guérison, l’hygiène corporelle, etc… leurs sont communs. Recevoir un don et devenir à côté de son métier guérisseur ne modifie en rien le statut social, politique ou économique du sujet tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du village.
Les rapports du leveur de maux à la pratique religieuse sont difficiles à cerner mais peuvent se déceler par certains détails outre la pratique dominicale, la pratique temporaire ou encore la nécessité du baptême pour pratiquer le don.
Cette approche du don se fait par approche concentrique du sujet. André JULLIARD en déduit que :
1 – Le guérisseur n’a pas l’ambition du magicien.
2 – Le don n’est une pratique magique que dans l’espace de la cure.
3 – Il est indépendant des mécanismes sociaux qui structurent la cohabitation villageoise.
4 – Il se loge de par sa constitution interne (prière, jeûne, neuvaine, signe de croix …) à proximité des méthodes religieuses de contact avec le sacré. Il participe encore plus directement à la vie religieuse car consulter un guérisseur s’accompagne souvent d’une « visite » à l’église soit parce que le thérapeute recommande le pèlerinage à tel saint guérisseur, soit parce que le patient et sa famille, pour se garantir contre l’échec, mettent de leur côté le maximum de recours possible.
Cependant, cette relation avec le religieux ne transforme pas le praticien en intermédiaire avec la divinité. Le don le convie à une relation personnelle avec les forces symboliques du Bien et du Mal et n’a d’existence dans le groupe local que par ses « retombées ». Il guide la demande du praticien dans le geste curatif mais lui laisse l’initiative de l’organisation technique et symbolique de la relation thérapeutique.
Le « don » peut s’obtenir :
– par transmission : directe, par la famille ou lors de l’accession à une charge comme pour les Rois d’Angleterre, par un legs, écrit ou oral, de prières ou de recettes de plantes médicinales.
– par révélation : il peut s’agir d’une auto-révélation où le rêve, les apparitions mystiques, les phénomènes surnaturels ou la transe apparaissent primordiaux.
Cela peut être aussi la révélation par la maladie, où le futur thérapeute passe par la maladie avant de la soigner, comme l’indique Tobie NATHAN (19). Cet épisode peut être un épisode psychopathologique où des éléments mystiques apparaissent, s’intriquent (J.F. REVERZY).
Il peut y avoir révélation lors de la pratique, par le patient lui-même, bien que le phénomène de reconnaissance par la guérison apparaisse très secondaire dans le « don ».
La révélation aussi peut provenir des autres guérisseurs (BERTRAND M.) ainsi que du groupe familial.
– par initiation : auprès d’un guérisseur (qui peut être celui qui l’a soigné).
Ces types de passage du don par transmission, révélation ou initiation qui peuvent être intriqués marqueront la pratique de ce « don » sans toutefois la déterminer avec précision. En effet, tous les anthropologues appuient sur le fait que cette pratique reste et demeure individuelle, laissant chaque guérisseur seul face à l’interprétation de son « don ». Cependant la façon dont le don a été transmis entérine la façon dont il sera transmissible. Quand il s’agit d’une révélation mystique il ne sera pas transmis sauf s’il a eu aussi initiation. Une partie de ce phénomène qu’est le « don » reste par cela impalpable.